EN QUETE DE SOI - Episode #24

Le couple spirituel

« J’aime tes voyelles entre deux consonnes

Ce doux prénom celtique en route vers la lumière

J’aime le prononcer comme une madone

Et recevoir sa musique comme une prière.

J’ai vu ton âme dans ton si doux regard

Me parler sans mot et sans aucun fard

Allongée près de toi, tout était évident

Rien à dire, juste apprécier d’être vivants

Regarder le ciel et n’être qu’un à cet instant

Près de toi, sans passion ni fusion

Ressentir l’éclosion d’un frisson

Dans un mot, un regard, une effusion. »

Extrait du poème « Amour », EstElle Penain.

Une année après le Pérou, me voilà une nouvelle fois en pleine initiation chamanique. Dix jours passés dans le silence.  J’expérimente un épisode très fort. La sensation d’un amour profond envahit mon cœur. Comme transportée. À cet instant, au sens spirituel, je me sens prête à rencontrer l’homme avec qui construire et partager un amour profond.

 

J’ai maintenant cet amour en moi, et je peux donc le partager.

L’univers m’entend puisque quinze jours plus tard, je rencontre Gaël, un de ces hommes nouveaux, j’ai déjà eu l’occasion d’en parler, l’homme sensible et généreux, l’homme du XXIe siècle, désireux de retrouver et d’exprimer sa sensibilité dans ce monde trop guerrier.

Je viens de rentrer et je décide de prendre quelques jours de vacances. Je veux changer de vie. M’accorder plus de temps pour créer, écrire, danser. Je sais maintenant que c’est vital pour moi. Mais je n’ai pas encore décidé comment mettre cela en place. Et je viens de faire un bilan professionnel : la créativité doit devenir un emploi. Alors, avant de décider du comment, je pars à Deauville pour une semaine de détente entre Festival du Film américain (j’adore le cinéma et le savoir-faire américain dans cet art), plage et sport.

Je suis avec une journaliste en train d’attendre pour une projection, quand celle-ci se retourne et me dit qu’elle connaît le jeune homme derrière nous. Ni une ni deux, nous sommes présentés.

Ma première impression reste son regard, cette douceur.

Je suis très sensible au regard, cette fenêtre de l’âme. Le regard ne trompe pas, si on l’observe bien.

Et par ses yeux, je reçois un flux de douceur rare chez un homme. Emmanuel m’en avait donné un aperçu. Gaël m’offre un océan. Oui, il m’arrive d’être fleur bleue derrière ma carapace trop yang… Deux âmes viennent de se retrouver. Cela ne s’explique pas.

Aux débuts de notre vie ensemble, nous dansons la valse du couple, décidés à grandir, à réparer conjointement nos blessures. Ce sera mon nouveau chemin spirituel.

D’ailleurs, depuis le Pérou et cette rencontre, je sens moins l’appel des initiations. J’espace peu à peu les rendez-vous avec mes guides spirituels, sans réelle intention de le faire. Cela se fait, c’est tout. La quête paternelle a fait son chemin à travers ces hommes. Grâce à eux, j’ai réparé ma part masculine guerrière, je l’ai adoucie.

D’ailleurs, Gaël ne ressemble en rien à mes relations précédentes.

Lui et moi sommes complémentaires. L’eau et le feu. Le calme et la tempête. Le soleil et la lune. Le lac et le volcan. Le Ciel et la Terre. Le masculin et le féminin. Il m’apaise, là où mes autres petits amis m’irritaient. Il me respecte infiniment, me protège et m’apprend à recevoir.

Il arrive au moment où ma créativité prend naissance, puisque je publie mon premier roman la semaine où je le rencontre. Son soutien profond et sincère va aider à développer cette part créative qui existe chez moi. Il me dira même une phrase que je n’oublierai jamais. « Je suis né pour te donner les moyens de t’émanciper. Je t’ai longtemps cherchée. Maintenant, je t’aiderai à devenir qui tu es. » Cette phrase m’a fait l’effet d’une bombe dans le cœur. Comme si j’avais attendu cela depuis longtemps, cette alchimie de nos êtres pour nous émanciper.

Je suis heureuse de voir que Gaël s’émancipe dans ce rôle de protecteur, qui lui tient très à cœur. Je lui permets ainsi d’ap- prendre à traverser davantage sa part masculine et moi, il me permet de découvrir davantage ma part féminine.

Ensemble, nous apprenons à rééquilibrer nos polarités.

Je ne veux plus aller me battre contre mes démons. À ce moment de ma vie, je nage dans le bonheur, tout simplement. Nous plantons ensemble les racines de notre amour dans une vie entre ville et campagne, isolés du monde pour mieux apprendre à nous connaître. Car nous nous suffisons à nous-mêmes, à ce moment-là. Nous nous sommes attendus pendant des années, nous voulons maintenant jouir du fruit de cette rencontre. Les fondations, les racines sont plantées en profondeur pour mieux faire pousser l’arbre de notre vie commune. Et nous savons qu’il faut prendre maintenant soin de cet arbre. Ce sera ma nouvelle priorité. J’ai passé tant d’années dans des collectifs.

Ma nouvelle famille de cœur se constitue d’un duo, rejoint bientôt par deux petites chiennes. Je goûte à l’incarnation de tous les enseignements reçus dans l’échange de nos âmes et nos corps.

La sexualité devient sacrée, un espace dans lequel je vais pouvoir doucement entendre des mémoires transgénérationnelles longtemps enfouies par le déni et qui viendront toquer à ma conscience petit à petit, comme des avortements clandestins et des viols.

Je ne suis pas directement concernée, mais je sais que ma lignée de femmes a connu ces épreuves, sans que personne n’en parle vraiment.

En lisant les propos d’Alexandro Jodorowski sur la métagénéalogie, je réaliserai que ce qui n’est pas réglé sur une génération se transmet sur la prochaine, jusqu’à résolution du problème.

Comment vous expliquer ce que je ressens autrement ?

J’ai l’impression que je suis née pour participer à la réparation des souffrances des femmes de ma lignée. Voilà pourquoi la sexualité doit être sacrée, car mon corps demande un grand respect.

J’en ai bien pris conscience, avec tout ce travail intérieur. Et Gaël et moi sommes d’accord sur le fait qu’une sexualité consciente et sacrée demande de s’apprivoiser et se respecter infiniment.

Cela commence après la période de fusion dans le couple, ce moment où les individualités reprennent leur place. Les miroirs se réfléchissent tellement qu’il y a un moment de bascule entre la fusion et le véritable amour, celui du détachement nécessaire pour mieux vivre ensemble. C’est à ce moment-là que reviennent les blessures non guéries. Et j’observe que les blessures de ma lignée non guéries semblent se cogner aux parois de mon corps.

C’est ce que traduit sans doute cette souffrance de plus en plus grande que j’endure pendant les règles. Par le passé, j’avais des douleurs, mais elles ne m’étaient pas aussi insupportables. Je prenais des anti-inflammatoires et j’arrivais tant bien que mal à vivre avec. Mais depuis mon retour du Pérou, on dirait que les mémoires remontent. J’ai cette sensation qu’en étant allée derrière le voile de mon mental, j’ai soulevé les mémoires enfouies au fond de l’inconscient.

Je savais que la plante péruvienne ferait son travail de « nettoyage » pendant plusieurs années. On m’avait prévenue. Eh bien, c’est ce que je vis à ce moment-là. Mais je pensais qu’en étant aimée, cajolée, respectée et soutenue aussi bien spirituellement que sexuellement, tout irait bien.

Sur le moment, je ne comprends pas cette souffrance, récurrente depuis l’adolescence, qui s’amplifie malgré le travail intérieur.

Il me faudra enquêter pour connaître mon arbre féminin… Et c’est là que j’entendrai parler d’avortement et de viol dans ma lignée, et tout deviendra clair…

Gaël ne peut répondre à toute ma soif spirituelle, malgré notre amour.

J’ai l’impression que notre couple représente la manifestation physique de la guérison spirituelle du masculin féminin en cours en chacun de nous. Nous nous aimons, mais il y a aussi l’intuition que notre union n’est pas le fruit du hasard, mais l’opportunité de guérir en profondeur nos blessures individuelles et collectives.

Il comprend mon chemin, il en est même assez admiratif, même si lui ne ressent pas cet appel pour le moment. Il a eu l’occasion de faire un travail sur lui il y a des années, à travers le rebirth, où il sera enseigné pendant deux ans, ce qui réparera pas mal de choses chez lui d’un point de vue émotionnel. Depuis, son chemin passe par la vie active, le travail et notre couple.

Il a suffisamment développé son intuition pour savoir l’écouter. Ce qui me plaît beaucoup. C’est même lui qui me pousse dans mes moments de doute, me disant que j’ai un message à faire passer. Nous nous comprenons. Je crois qu’il arrive aussi avec un bagage spirituel inné qui lui permet d’être à l’écoute et attentionné.

Ensemble, nous apprenons plutôt à nous fondre dans ce monde physique et sociétal pour vivre la matérialité autant que la spiritualité.

C’est cela, notre chemin : la matière et le spirituel ne faisant plus qu’un. Spiritualiser la matière ou densifier la spiritualité dans cette réalité appelée la terre…

Même si la société consumériste s’oppose souvent à la spiritualité, la considérant comme un danger plutôt que comme une opportunité exceptionnelle d’évolution…

Le matérialisme et le patriarcat marchent ensemble depuis le néolithique, il y a cinq mille ans. Autant dire qu’il reste un sacré chemin à faire pour faire bouger les lignes.

Après plus de dix années de vie commune, il y a des caps à franchir pas toujours évidents, surtout pour deux individus aux rythmes différents. D’ailleurs, il me semble que ce soit là une des plus grandes difficultés du couple. Évoluer ensemble dans un temps à peu près similaire, sans vivre dans un mode de concessions permanentes. Pas toujours évident. Et c’est là que le chemin spirituel fait la différence pour une femme comme moi. Pour maintenir la relation dans son processus d’évolution.

Le couple m’apparaît comme une troisième entité à laquelle nous devons consacrer du temps, si nous choisissons que notre couple est une priorité. Ce qui est notre cas.

Or, souvent, c’est la femme qui maintient le feu ardent du foyer, le feu du cœur, le feu de la passion justement, c’est-à-dire le feu de la vie. Faire en sorte qu’il ne s’éteigne pas. Or, être gardienne du feu à temps plein peut fatiguer. J’ai également envie que l’autre entretienne ce feu sans avoir à le lui demander. Et c’est là que nos différences homme- femme font surface.

Il semblerait que l’homme soit plus enclin à se laisser aller avec les années, à considérer l’amour comme acquis, à ne plus séduire sa douce, à la voir comme quelque chose d’immuable.

Or, tout change, même l’amour. Il se transforme, mute, bouge, évolue ou pas. Il faut le nourrir de nos vies individuelles, lui redonner du bois pour que les flammes se mettent à danser à nouveau au lieu de laisser consumer les braises sans réagir.

La vie va où la conscience va. Il y a donc un choix à faire à certains moments. C’est-à-dire décider de ce que j’apporte à ce foyer. Qu’est-ce que je fais pour nourrir le feu sacré de l’amour ?

Nous sommes deux, et à deux, nous devons nourrir notre troi- sième entité : le couple.

Après la construction du couple, vient le moment de l’évolution vers la descendance, l’idée de construire ensemble un projet commun. Comme l’enfant, une maison, un projet artistique, etc. Nous en sommes là…

Parfois, nous vivons de l’incompréhension. J’ai longtemps cru que la souffrance était liée à ce qu’a dit ou fait quelqu’un d’autre.

J’ai essayé de souder mes différents couples dans une sorte d’unité et de sécurité car mon inconscient tentait de recréer le cocon maternel sécurisant d’amour inconditionnel. Et, sans m’en rendre compte, je demandais à l’autre de jouer ce rôle. Le couple devient alors étouffant ou ne répond pas aux attentes de guérir cette souffrance inconsciente de la séparation maternelle. Une relation de dépendance peut se créer. Et on ne va pas loin avec ce genre de relation, car la dépendance amène le pouvoir et le contrôle.

Renoncer à mon individualité, sous couvert de trouver la fusion et l’unité du couple revient à détruire le couple, ma personnalité et celle de mon conjoint sur la longueur. Le véritable amour semble consister à vivre en parfaite autonomie.

Chaque personne possède sa propre énergie capable de fonctionner avec celle de l’autre. Il a été vital de prendre cette responsabilité pour affronter cette vieille blessure, pour passer des caps pendant ces années. Moi seule pouvais la guérir. Le couple me permet de traverser cette étape. Devenir autonome tout en étant à deux. Parce qu’il y a une tentation à se laisser porter par l’autre, une tentation à glisser dans les rôles prédéfinis par la société.

Je suis toujours éprise de liberté, même dans mon couple.