EN QUETE DE SOI - Episode #30

La colère - Bonne messagère ou pas ?

Je sens une colère contenue depuis tant d’années (et peut-être même celles des autres femmes), une immense tristesse, noyée dans la fatigue. Je ne sais que faire de ce remue-ménage intérieur. Mon esprit semble naviguer entre deux eaux troubles de lumière et de noirceur. Tout se confond. Je perds pied. Je hais cet état.

Je ne sais pas ce que c’est, que d’être une femme. Il me faut encore une grippe pour me mettre au lit et cette maladie incurable pour m’imposer un changement de vie et me rendre compte des choses ? Observer la femme que je suis devenue ?

Je suis une femme. C’est une évidence de par mes attributs sexuels. Mais, finalement, je ne me connais pas. Juste ce qu’il faut pour vivre dans ce monde d’hommes. Insensible, forte, guerrière, pour me faire accepter ou me battre pour ma place. Mais cela ne me remplit pas de joie. Je n’ai plus envie de lutter ou de fuir. Je veux juste vivre.

J’en suis arrivée à détester les règles, à désirer être un homme. Je déteste être femme. C’est sûr que cela n’aide pas à se sentir bien dans sa peau…

D’autres femmes vivent leur cycle agréablement. Enfin, tellement peu… Je dois en parler avec d’autres femmes.

Je respire souvent en suivant la technique du Pranayama pour aider mon corps au niveau cellulaire. Je sais maintenant que cette respiration peut guérir mon utérus malade. Les cellules entendent les messages du cerveau.

Je considère ainsi mon cerveau comme un ordinateur à qui je donne des consignes. Les cellules obéissent au programme. Il suffit de contrôler les pensées, d’amener la conscience dans l’utérus et de visualiser la lumière. Le miracle peut se produire.

Je sens un relâchement et un nettoyage profond que je ne peux expliquer rationnellement. Je n’irai pas voir de médecin pour lui certifier que cette voie peut sauver des vies, mais j’y crois. Et la croyance fait des miracles, il suffit de regarder la religion.

Alors pourquoi mettre mes croyances dans un Dieu inaccessible, alors que mon cerveau, ce formidable récepteur, peut accomplir des miracles ? Je m’en remets à lui. Au moins, il existe. Je le vois. Je le sens. Je peux le maîtriser en apprenant. Le contrôle de l’esprit existe. Au moins un contrôle utile. J’en ai la preuve, avec cette respiration pranique. Quelle découverte exaltante. Juste en respirant, je vais changer ma vie.

On m’aurait dit cela il y a quelques années, j’aurais rigolé. Mais aujourd’hui, j’expérimente. Mon corps semble une machine incroyablement perfectionnée sous couvert de s’intéresser à elle comme on le ferait pour un logiciel. Regardez l’informatique : n’est-ce pas un ensemble de données, d’informations créant un univers de codes, un langage en soi ? Si. Et le corps ? N’est-ce pas un ensemble de données, d’informations, de cellules, un langage en soi? Aussi. L’aventure ne fait que commencer.

Apprendre à respirer doit me permettre de vivre l’instant présent en évitant de me laisser entraîner par mes pensées. Pourtant, je continue d’élaborer des idées dans mon cortex bouillonnant.

La différence par rapport à ma vie d’avant les initiations, c’est que maintenant, je le sais. Je l’ai vécu. Si les pensées surgissent, il faut revenir au Prana.

Sans attention ni intention, je perds mon temps ! La pensée est tout ! Le Prana (la conscience inspirée) va là où je lui dis d’aller.

Or, si je pense à autre chose, le Prana se disperse. Je perds donc mon temps par rapport à l’intention que j’avais de libérer mes résistances, ces mémoires inscrites au cœur de mes cellules, en les chassant de mon corps par l’action de la lumière. Par la respiration, je retrouve peu à peu l’instant présent, la joie, l’attention, l’intention, l’harmonie, l’équilibre et l’amour.

Je prie, je demande chaque jour ces cadeaux de l’Esprit. Et il est vrai que la colère semble s’atténuer. Elle explose parfois de manière incontrôlée. Parce qu’elle a été si longtemps enfouie, elle trouve une échappatoire pas toujours agréable ou bienvenue pour les autres.

Je passe un cap où je ne supporte plus aucune contrariété. Laissez-moi vivre telle que je suis ! Ne m’ordonnez plus rien, ne me dites plus comment je dois m’habiller, me maquiller, parler, ce que j’ai le droit ou pas ! Stop ! Je n’entends plus aucun interdit ! Je veux me laisser porter par la vie.

Jusque-là, sans m’en rendre compte, je vivais dans une lutte chronique ou alors je prenais la fuite. En résistance ou en échappatoire. Dans la respiration, le temps semble suspendu. Il ne reste plus que l’être. L’instant. La seconde. Cette virgule temporelle. J’arrête de faire, je veux être.

– Oui mais, tu crois quoi? Tu crois que tu peux passer ta vie à être ? Sans rien faire ?

– Si. Faire quelque chose qui me nourrisse. Qui me fasse du bien.

– Parce que tu crois que tu es là pour te faire plaisir? Pour qui te prends-tu? Tu dois te sacrifier pour les autres. Pas pour toi. Tu dois travailler. Être productive ! 

Chaque jour, cette litanie revient dans ma tête comme un avertissement à trop de bonheur. Un peu de plénitude ? Hop, le censeur me rappelle que, dans ce monde, mes états d’âme n’intéressent pas.

– Tu ne rapportes pas de capital en pensant.

Je n’en peux plus de t’entendre, sale mental! Tu me fatigues.

Oui, j’ai envie de retrouver les fragments de mon être. Ceux que j’ai oubliés au fond de mon âme. Aller creuser à l’intérieur, là où personne ne peut aller à ma place. Je l’ai trahie. Je l’ai oubliée. Il n’y a pas que les hommes qui sabotent ce féminin. J’ai eu moi-même peur d’aller creuser au fond de moi. Car ce qui ne se voit pas fait peur.

Quand on est enfant, rien ne semble impossible. Le rêve fait partie de nous. Mais avec la vie d’adulte, nous oublions cet état d’être naturel, obscurcis que nous sommes par nos peurs et croyances.

Je cherche aujourd’hui les fragments de mon féminin. Cette énergie profonde ne me fait plus peur. Dans les ténèbres, je peux renaître. Car c’est au plus profond de mon cœur et de mon ventre que se niche l’autre partie de mon être. Mon féminin.

La lumière s’infiltre dans chaque fêlure, dans chaque recoin de ma tête, de mon ventre, de mon utérus, de mes pieds. Partout, je la sens. Une vibration. Une sorte de gomme énergétique. Un remède à trop d’années de déni et d’ignorance.

Mon corps répond aux rigidités du cerveau pouvant éteindre une partie de lui comme on éteindrait une pièce d’une maison, la laissant sans vie, l’oubliant. Or, là où il n’y a pas de vie, pas de lumière, pas de mouvement, il existe de l’espace pour l’autre versant : la mort.

Alors, pour se faire entendre, pour que cet espace vidé de vie renaisse, le corps envoie un signal : la maladie, la douleur ou des alertes comme des malaises. Arrive le moment où la capacité à ressentir entre en jeu. Et quand on se protège trop, le déni empêche presque toute possibilité de ressenti…

Mais la protection a des failles qui, un jour s’ouvrent pour libérer ce non-dit trop longtemps caché… 

Je comprends l’endométriose, maintenant. Ce « mal a dit » combien la féminité et la maternité ont été occultées de mon cerveau. Est-ce l’envie de rester la petite fille à sa mère, cherchant encore à se faire protéger ?

Est-ce cette impression d’avoir passé un contrat avec mon âme pour arrêter la filiation face à ce féminin toujours blessé dans ma lignée, de génération en génération? Est-ce que je crois qu’il faut être mère uniquement pour être aimée et respectée par sa famille?

Je repense à mes ancêtres femmes et à leurs ressentiments. Parmi elles, je n’ai pas vu de modèle féminin vraiment épanoui. Alors comment aimer être une femme ? 

Quand la peur et les anciens mécanismes refont surface, quelques exercices de yoga peuvent changer l’humeur et surtout apaiser le mental. Je me concentre sur les postures qui me viennent naturellement. Ne plus me forcer. Laisser le flux de l’inspiration me guider tout comme l’écriture. Ne plus vivre le yoga comme un sport ou une discipline, mais comme un acte créatif avec le corps. Cela change complètement la pratique. Avant, je rechignais parfois à m’y mettre. Aujourd’hui, je crée des postures selon le désir du moment.

Un matin, j’ai envie de douceur. Donc : étire- ment, respiration, posture douce, musique planante, méditation. Joie. Bien-être. Puis envie de danser. Je mets une musique électro tribale puis afro-house et me voilà en train de sauter partout dans l’appartement.

Prendre soin de moi… Enfin !

Après cette danse tribale, je finis en lotus sur mon coussin pour sentir les bienfaits de cette pratique. La concentration sur la respiration porte ses fruits. La respiration, ce médicament universel à portée de tous reste un outil incroyable pour dépasser des blocages, revivre une naissance ou pour ressentir la paix intérieure en méditant.

Depuis que je médite, je perçois des vibrations différentes. Comme si mon corps devenait une antenne, réceptionnant les énergies qui l’entourent. Parfois, il me prévient par des maux de tête. Le signal d’une pollution magnétique, comme un ensemble d’énergie basses, sombres, mentales, douloureuses parfois. Il suffit que je quitte le lieu pour que la migraine disparaisse.

La maladie m’a ramené les pieds sur terre, m’obligeant à m’occuper de mon corps pour guérir.

J’apprends à devenir ma propre mère, celle qui soigne son enfant intérieur, son ventre, sa matrice pour donner vie.

Je trouve alors des potions magiques grâce à un long travail de recherche. Personne ne me guide, je fais mon enquête à travers des livres, des blogs, des forums où, entre femmes touchées par la maladie, nous nous refilons nos tuyaux après une errance médicale nous ayant souvent déçues, nous sentant non accompagnées.

Je reste à l’écoute des médecins, consciente qu’ils essaient de soigner avec les connaissances en cours. Et hélas, les solutions semblent réduites à la pilule, ménopause artificielle ou chirurgie.

Heureusement, je découvre une ouverture à d’autres techniques, aux traitements des douleurs à l’hôpital Saint-Joseph où je participe à un groupe de parole. Je ne reste pas longtemps, ne me sentant pas dans mon élément entre des murs blancs maculés de quelques dessins d’enfants.

Chacune raconte ses douleurs (des contractions à l’évanouissement), ses longues errances médicales sans trouver de solution (des gynécologues pas encore habitués à cette maladie, la plupart du temps), l’isolement social dû à la grande fatigue de cette maladie (combien de fois j’ai dû annuler un rendez-vous parce que j’avais des douleurs dues aux règles, ou à une fatigue insurmontable, mais cela devient difficile d’annuler toujours au dernier moment, et génère surtout une incompréhension pour les autres, un désert amical est donc de plus en plus flagrant…), les complications pour certaines vivant avec une poche à la place de la vessie, la portée de l’inflammation, les cellules migrées dans les poumons ou le cerveau, la non-reconnaissance de cette maladie par la société et la difficulté d’en parler (la maladie n’est pas encore médiatique, à ce moment-là), le tabou, la sensation d’être bipolaire puisque le mal ne se voit pas, les changements d’humeur incontrôlables, la détresse face à la sexualité ralentie, voire inexistante pour certaines, l’incompréhension des familles et des proches. Et la solitude, cette sensation de déranger si l’on parle de la maladie, parce que personne n’y comprend rien.

Je ne me sens pas très soutenue. La seule différence entre avant et après avoir partagé cette maladie, c’est que je n’ai plus la pression d’enfanter. On me fiche une paix royale, dorénavant, on me regarde désormais plus avec pitié qu’avec compassion. « La pauvre, elle n’aura pas d’enfant. »

Je ne m’apitoie pas sur mon sort et je dois avouer que je partage mon ressenti uniquement si on me le demande. Or, c’est plutôt rare. Cela arrive de temps en temps, avec mes plus proches ou les copines qui ont connu aussi l’endométriose. Mais même elles ne s’attardent pas sur le sujet.

Si certains prétendent qu’être malade vous ouvre les voies d’un plus grand soutien, moi, je n’ai pas vu de différence au niveau relationnel. Je trouve même que cela m’a plutôt isolée socialement. Je traverse la déception aussi. Mon petit cœur a bien du mal à comprendre le manque d’empathie de certains autour de moi. Que ce soit le burn-out, la fausse couche ou la maladie, il n’y aura pas grand monde pour faire le déplacement jusque chez moi. Mon téléphone ne sonne pas plus qu’avant. Et je ne suis pas la seule, apparemment.

Du coup, je continue à utiliser ma légende personnelle : je suis forte, je réussirai aussi à dépasser la maladie par mes propres moyens! La guerrière est de retour!

Heureusement, il y a les groupes de parole, les groupes Facebook où l’on peut vider son sac à l’occasion… Merci à toutes ces femmes. Parler de la souffrance est nécessaire. Grâce à elles, je prends conscience de l’impact de cette maladie dans la société, de l’errance des victimes, de leur douleur. Je réalise que je ne suis pas la plus à plaindre. Certaines ont les ventres balafrés et les opérations à la chaîne avec récurrence de la maladie. J’écoute leurs peines, j’entends la mienne mais finalement, je me trouve plutôt bien dans mes pompes malgré tout. Et puis, je n’ai pas envie de macérer dans les plaintes. Je préfère agir avec mon intuition et mes recherches.

Tout cela doit servir à quelque chose…