EN QUETE DE SOI - Episode #27

De la production à la création

Et puis, arrive cette évidence : j’en ai marre d’être productive. Je veux être créatrice.

Je me mets à écrire de plus en plus de poésie. La créativité m’appelle à travers l’écriture.

Je procrastine souvent au début, avec cette peur de gagner moins d’argent si je m’arrête pour écrire.

Je ne supporte pas l’idée d’être dépendante de qui que ce soit. Et puis, les femmes se sont battues pour ça. Alors je dois bosser et ramener ma part.

Pourtant, une partie de moi souhaite prendre son temps… Poser toutes ces années d’interrogations, d’expériences, de prises de conscience. Cela n’intéressera peut- être personne mais j’ai besoin d’évacuer, de poser sur le papier. C’est vital pour moi, sinon le feu créatif intérieur non utilisé se retournera contre moi avec des symptômes de mal-être. Jusqu’à la maladie. Si j’avais davantage écouté ce feu créatif…

Encouragée par Gaël, qui me pousse à écrire suite à la lecture de mes nombreuses poésies et mes premiers romans sortis au début de notre rencontre, j’entreprends alors de me laisser glisser de plus en plus vers cette passion d’écriture. Pour lui, aucun doute, je suis faite pour cela. Un jour, j’aurais mon heure et il me jure de m’aider à réaliser ma mission d’âme. Quelle belle déclaration d’amour! Quelle évolution!

Le masculin soutient la créativité féminine en lui donnant l’impulsion de se réaliser.

Mais voilà, je me sens coupable. Comme si je commettais un « péché ». Quelque chose que peu de personnes réalisent. La plupart restent prisonniers de leur vie, entre un emploi à plein temps, des enfants à gérer, une famille à nourrir, à protéger… Comment penser à soi, dans cette situation ? N’est-ce pas égoïste de penser à soi pour mieux vivre avec les autres dans ce monde difficile ? Mon entourage me conforte dans cette voie.

J’aime regarder les êtres exemplaires, entre leur vision de la vie et leur attitude. Et en l’occurrence, les personnes qui me fascinent sont des exceptions. Comme des Gandhi version moderne pour l’antiviolence, ou des élèves spirituels qui passent leur vie à évoluer, à se dépasser sans accuser les autres de leurs problèmes. Ces gens-là me fascinent, me donnent envie de m’améliorer et d’apprendre à me connaître.

Alors est-ce égoïste de vouloir s’améliorer? Est-ce une vie possible dans ce monde tourmenté que de regarder sa conscience pour mieux l’appréhender ? Est-ce le chemin tant attendu que d’apprendre à s’aimer pour mieux aimer les autres? Est-ce chrétien, juif, musulman, bouddhiste ou jaïniste de penser ainsi ? Doit-on forcément appartenir à un clan pour devenir meilleur?

La société n’encourage pas cette pratique de la connaissance de soi, car cela rend les gens libres. Et la liberté rend responsable. Autonome. Moins mouton. Ouvert à autre chose que ce qui nous est imposé. Voilà pourquoi je fais tout cela. Pour être libre. Libre de mes émotions et mes barrières, de cet esclavage émotionnel.

Même si nous ne pouvons pas aller à l’encontre de la société, car elle a sa raison d’exister telle qu’elle est, il arrive un moment où l’on apprend à s’en détacher. Il semblerait que le moment soit venu de me dépasser.

Je partage chaque jour la vie d’un être me permettant ce partage de l’instant, de qui nous sommes. J’observe Gaël et son apparente docilité. D’humeur égale, il donne l’impression que tout est facile, semblant satisfait de ce que la vie lui propose. Et ne se pose pas toutes ces questions. Moins cérébral, il vit davantage le concret et s’en satisfait. Il n’a pas de réelle passion. Ce qui m’interroge.

Comment ne pas vivre avec le sel de la passion? Pas la passion amoureuse, la passion de la vie. Il a un côté froid et pragmatique qui contraste avec mon côté sanguin et créatif.

Voilà la difficulté du couple. Trouver l’équilibre dans ces différences fondamentales. Chaud et froid, ça donne tiède. Peut-être la tiédeur de la vie pour ne pas aller dans l’excessivité ? Ou au contraire, le refroidissement empêche de vivre complètement la passion de la vie ? Deux points de vue. Deux façons d’être.

Ma vision me porte à vouloir vivre avec la joie au cœur, ce que j’appelle la passion. La joie d’être vivant, la joie de rire, de partager. Le sel et le piment de la vie, la beauté, les instants de communion.

Mais lui ne partage pas ce piment, ce sel, cette passion. Je le sens davantage dans le devoir que dans la passion. Il prend très à cœur sa responsabilité, et sa motivation reste notre couple. Nous sommes en accord avec cette vision.

Il aime faire en sorte que je ne manque de rien. Voilà son moteur. Je ne peux que m’en réjouir. Même si ce chaud-froid me déstabilise parfois… Gaël aime prendre soin de moi, me proté- ger. Cela lui permet de se sentir homme, et il aime ça. Sa devise pourrait être : aimer, c’est servir. Rarement, j’ai eu l’occasion de vivre une telle relation. Une sorte de Pygmalion voulant aider sa muse à évoluer, à grandir, à devenir qui elle est. Et grâce à mon lâcher-prise, par l’acceptation de mon abandon progressif vers plus de complémentarité, je lui permets aussi de devenir qui il est.

Nous apprenons à gérer nos différences en acceptant nos multiples facettes. Pas toujours évident. Mais on apprend plus vite à deux. Si on s’écoute et se respecte, on peut aller loin ensemble.

Alors j’apprends à lui laisser cette place. Moi qui ai toujours tout fait toute seule !

J’apprends à être aidée, soutenue et valorisée. Je n’avais pas connu cela auparavant dans le rapport homme-femme. Je ne connaissais que le rapport dominant- dominé. Donc deux coqs ensemble, puisque j’étais à forte domi- nance masculine, cela ne risquait pas de marcher… Avec un peu plus d’équilibre, je laisse de la place à l’autre, l’homme désireux de me soutenir. Je ne lui impose rien, je ne lui demande rien. C’est son choix, son désir.

Par exemple, moi qui ai passé ma vie à crier haut et fort que je serais toujours indépendante, je traverse un moment où je suis dépendante de mon conjoint financièrement. Et cela afin de pouvoir créer, prendre le temps de poser à plat en conscience toute la sève créative qui m’anime.

Je le vis mal, au départ, culpabilisée et tiraillée dans mon fonctionnement habituel de devoir amener ma part financière dans le couple. C’est Gaël qui me pousse, me rassurant sur le fait qu’il veut que je prenne ce temps-là pour moi, que c’est essentiel, qu’il se sent important et utile quand il apporte son salaire et qu’il le partage, parce que nous sommes une équipe solidaire et qu’un jour, peut-être, cela sera son tour d’être soutenu.

Ce genre de situations qui m’apprend à lui laisser cette place de soutien, à accepter qu’être indépendante ne signifie pas toujours être libre, que je peux me sentir libre si je me détache de la peur de manquer et que j’accepte qu’un homme puisse prendre soin de moi sans y voir la notion d’être « entretenue ». Non, nous sommes solidaires. C’est différent.

Je travaille à créer de la richesse artistique depuis chez moi. Et je vois comme je fais le lien entre domicile et non-reconnaissance, puisque la femme au foyer n’est pas reconnue dans la société. Or, j’ai encore besoin de reconnaissance. Je mélange tout.

La confusion va s’atténuer et disparaître le jour où j’accepterai qu’il est très agréable que l’on prenne soin de moi.

Je ne veux plus être une guerrière à plein temps. Je veux connaître un autre aspect de ma personnalité. Et j’aime maintenant être chez moi pour travailler à mon rythme, dans mon univers avec la passion créative qui me permet de créer de la richesse où que je sois, de préparer mes futurs soins spirituels à travers l’art…