EN QUETE DE SOI - Episode #4

De l’enfant à la jeune femme

« La brutalité de la vie te fait de plus en plus mal

Les adultes méprisent trop la flamme vitale

Qu’ils ont perdu au fil des années par orgueil.

Les souffrances sont devenues maîtresses du seuil.

Les cœurs qui t’entourent, ont oublié d’aimer.

Tu dois cacher ta lumière et ta joie pour exister

Pour avoir ta place parmi eux, ne pas trop briller.

Tu commences alors un chemin d’exil. »

L’éducation que je reçois est parfois austère pour la petite fille sensible que je suis. Elle me conforte dans l’idée qu’il faut être forte pour m’en sortir. Qu’il faut souffrir, qu’il faut en baver pour réussir, que l’on n’a rien sans rien, que la vie est un combat permanent, que c’est marche ou crève. Bref, je reçois l’éducation qu’il est convenu d’avoir pour entrer dans le moule sociétal. Alors je suis forte. Insensible de préférence, car on n’aime pas les pleureuses, les chouineuses, les emmerdeuses, les trop sensibles. Pas de bol, il paraît que je suis une empêcheuse de tourner en rond. Que je ne suis pas dans le moule. Hors cadre. Compliquée, puisque rebelle.

« Rebelle », l’adjectif résonne trop comme une notion héroïque dont je n’ai pas l’étiquette. Je dis rebelle aujourd’hui, mais à l’époque je me sens plutôt jugée. Tout ce que je sais, c’est que je ne cesserais jamais de vouloir atteindre mon inaccessible étoile.

À l’adolescence, je garde le souvenir de ne pas m’aimer. À chaque arrivée des menstruations, une souffrance psychologique pointe son nez, comme une gêne, un problème, une salissure, un handi- cap. Je les rejette, ou plutôt les ignore. Il faut faire avec, sans y prêter trop d’attention. Personne ne m’explique vraiment mon passage de jeune fille à femme. Si ce n’est rationnellement. Mais rien ne vient vraiment honorer ce passage important pour une petite fille. Pour les garçons, certaines traditions accueillent ce passage de l’enfance au jeune homme comme une fête, lors d’un rituel par exemple.

Dans les anciens temps, on honorait les différentes transitions de vie. En Occident, rien ne subsiste des rites anciens de nos grands-mères, de nos aïeules. Nous devons nous débrouiller seules. La course à l’individualisme et au profit dans laquelle notre société est engluée aujourd’hui, a complètement fait voler en éclats la notion de famille et de rituels. Comme si la tradition était synonyme de régression, ou plutôt comme si la modernité imposait d’oublier notre passé. Or, nous sommes le fruit de notre passé collectif.

Le jour où je deviens femme est donc un jour comme un autre. Voire pire, puisque je me sens sale.

La première fois où j’ai senti du sang couler entre mes cuisses, j’étais chez un cousin. Je n’ai pas de souvenir précis, si ce n’est l’envie de partir vite de chez lui, et surtout ne rien dire. Pourquoi? Aucune idée. Je ne me souviens de rien d’autre. Comme une gomme qui aurait effacé ma mémoire. Et puis, en famille, nous ne parlions pas des choses intimes. Sûrement par pudeur et par reproduction d’une éducation transmise de génération en génération. Je me souviens seulement que je n’accueille pas ce moment de manière joyeuse mais plutôt comme un boulet menstruel. Je suis maintenant dans la norme. Bien qu’à cette époque, je ne me sente pas spécialement femme parce que j’ai mes règles. Pour moi, c’est plutôt la galère qui commence. Je ne le sais pas encore, mais les douleurs qui surviennent une fois par mois sont le signe annonciateur de quelque chose qui va marquer ma vie.

Mais je ne parle pas de mes règles, tout simplement car personne ne parle des règles. Trop tabou. Le sang dérange. Il plane comme une gêne, même entre filles. Je ne me souviens pas de discussion autour de ce sujet, alors qu’une fois par mois nous sommes toutes confrontées à cette perte de sang. Pourquoi? « C’est normal d’avoir mal », paraît-il. Voilà à peu près tout ce que je reçois comme information. « Ne fais pas ta douillette, nous sommes toutes passées par là ! » OK, le message est clair. Je fermerai donc ma bouche, et n’aborderai pas ce non-sujet.

Les femmes de ma lignée ont fait comme toutes les familles : transmettre ce qu’elles connaissent.

Je n’ai pas beaucoup de souvenirs de partage sur la féminité à cette époque de ma vie. Sûrement trop jeune pour m’en souvenir, ou pas encore suffi- samment intéressée par le sujet, vu que je suis plutôt un garçon manqué.

Cependant, je me sens tiraillée entre la libération sexuelle des femmes affichée dans les débats des années 1970 et ce qui se passe dans nos familles. Le discours ne suit pas toujours la réalité. Jeune fille, j’ai la sensation qu’être une femme au foyer ne rend pas forcément heureuse. J’entends des plaintes, des revendications, des injonctions à ne pas reproduire les mêmes « erreurs », comme la dépendance financière au conjoint. En observant mon entourage, je crois que j’intègre alors la notion d’indépendance et d’autonomie pour garder ma liberté. Plus question d’être un oiseau fragile tombé de son nid. Donc à nous, la nouvelle génération, de continuer la lutte. Je prendrai ce message très à cœur…

À l’arrivée des menstruations, j’éprouve un sentiment étrange de honte. Le désir inconscient d’être un garçon ? Peut-être. Le refus d’être une fille pour répondre au désir de mes parents ? Sûrement. Mais vu que tout est inconscient, j’avance avec le « cul » entre deux chaises…

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