Les années 1990 arrivent, j’ai dix-huit ans. Mon baccalauréat littéraire en poche, une liberté toute fraîche s’offre à moi, celle de la vie étudiante dans une nouvelle ville. Je découvre la vie. Que dis-je? Je la croque à pleines dents. La vie étudiante, je la vois uniquement sur les bancs des amphithéâtres. Le reste du temps, je le passe avec une bande de copains fêtards qui connaissent surtout les bistrots. Sorties de trajectoire. Mauvais choix relationnels. Sabotage inconscient de mon potentiel dans l’alcool et les fêtes. Je m’amuse beaucoup. Du moins, je crois m’amuser. D’autant plus que je viens de vivre mes deux premières relations sentimentales sérieuses. Deux fois trois ans. Pas mal, pour un début.
Ma première histoire, de seize à dix-huit ans, s’est terminée sur une crise, pendant laquelle je me prends un coup de tête sur le nez. Comment en est-on arrivés là? Après trois années d’un amour empreint de jalousie sur la fin, je voulais mettre de la distance entre nous. Je ne savais pas comment faire. Je n’aime pas faire mal. Parce qu’après trois ans, il y a de la tendresse. Mais la jalousie de cet homme va s’amplifier à mesure de mon détachement progressif. Et lors de ce fameux jour, au beau milieu d’une dispute, il m’attrape par les épaules et me donne un coup de « boule », comme on dit. Un filet de sang au milieu du nez, une douleur lancinante, je suis choquée par son geste. Se confondant en excuses, prétextant que je l’ai poussé à bout, il jure avoir eu un geste accidentel, voulant juste me faire peur ! Me voilà donc avec une déviation nasale à l’hôpital… et la fâcheuse habitude à pardonner trop rapidement. Il ne l’a pas fait exprès. Faute avouée à moitié pardonnée. Mais avec moi, c’est plutôt vite pardonné.
Je ne sais pas comment je fais, mais j’ai l’impression d’avoir un mécanisme bien rodé à cette époque-là, qui met toute ma souf- france au fond d’un sac. Est-ce le déni ? L’envie de ne pas voir la vérité en face ? En revanche, je me suis toujours promis que tout geste déplacé conduirait à la rupture. Si je laisse passer un geste mal intentionné une fois, je crains l’escalade. Et puis, même s’il s’agit d’un malheureux accident, même si j’ai une estime défaillante à cette époque, même si je n’ai pas confiance en moi, je sais quand même que personne ne mérite d’être violenté… même pour faire peur…
Première violence conjugale…
Marquée par cette rupture, je débarque dans une nouvelle ville où je vis une deuxième histoire sérieuse, de mes vingt à vingt-trois ans. Ah oui, je suis du genre fidèle. Après une année agréable, on s’installe ensemble et là, c’est la catastrophe. Violences verbales et parfois physiques dans l’escalade de nos conflits. Il faut vraiment ne pas beaucoup s’aimer pour rester. Encore aujourd’hui, je ne comprends pas quel pouvoir cet homme avait sur moi pour que je reste trois ans avec lui, dont deux à souffrir d’un comportement toxique de sa part. Le manque d’estime peut pousser à vivre avec son bourreau… J’ai d’ailleurs du mal à dire « bourreau ». Parce que je ne vois pas le mal, à l’époque. Une claque par-ci par-là, ça n’a jamais fait d’un homme un bourreau, il ne faut pas exagérer non plus. Voilà à peu près mon état d’esprit.
Est-ce l’époque qui autorisait davantage les rapports violents ? Ce dont je me souviens, c’est juste que finalement, à cette époque de ma vie, je suis une Marie (Trintignant) qui s’ignore, inconsciente de la violence de son conjoint. Je n’ai de cesse de me dire que ce n’est pas grave, que tous les couples doivent vivre ce genre de rapports.
Une après-midi comme un autre, il va plus loin que d’habitude. Lors d’une altercation violente, il me traîne par terre en tirant mes cheveux, me donne des coups de pied dans le ventre et m’insulte. Cette fois, je n’en peux plus. Je le quitte. Comme une déchirure. Un manque qu’il faudra dépasser pour me protéger. Seul le temps permettra d’effacer les cicatrices laissées par cette relation toxique.