EN QUETE DE SOI - Episode #28
Le deuil prénatal
Dès la deuxième année, alors que nous filons un parfait amour, nous avons la certitude que nous sommes faits pour avoir un enfant ensemble. La famille nous pousse à vivre cette aventure parentale. Et particulièrement ma belle-famille où l’amour se partage facilement entre parents et enfants.
Je ne prends plus la pilule depuis des années, et nous avons décidé de laisser Mère Nature décider pour nous du moment où surviendra cet événement désiré, planifié et attendu : la maternité. La prochaine étape du couple.
Bingo. Me voilà vite enceinte. Nageant dans un bonheur indicible, je vis trois mois et demi sur un nuage de délice, de douceur et d’amour. Je dors peu, comme connectée à l’énergie de ce fœtus dans mon utérus.
Première fois que je sens la vie à l’intérieur de mon ventre. Première bénédiction pour cet utérus dont j’avais oublié l’existence.
Tout se passe bien. Une échographie nous montre ce petit être en devenir. Émotion forte.
Pour Gaël, moins que moi. Il m’explique qu’il a besoin de vivre les choses pour vraiment réaliser ce qui se passe. Moi, je nage dans le bonheur. Je me sens belle, légère, gracieuse et cette vie dans mon ventre me donne des ailes.
Grâce à cette grossesse, j’écris encore plus. Je fais des piges depuis la maison. En tant qu’auteure, je peux écrire de n’importe où. J’aime cette liberté. Et je prie chaque jour pour que l’écriture me permette de vivre de ma plume. Pas encore suffisamment.
Je trouve donc quelques contrats, commence à donner des ateliers aux particuliers pour mieux se connaître à travers les mots, tout en écrivant mes futures chansons, un nouveau roman et en peignant des tableaux. Je pose sur le papier de nombreuses poésies sur la gratitude d’être en vie, l’amitié et l’amour. Je me sens vivante et créatrice à plein temps.
Dans ce monde de dualité, quand la vie appelle la vie, elle appelle aussi la mort. Alors que j’attends un bébé, ma mère m’appelle pour me dire que ma grand-mère maternelle est tombée et qu’à la suite d’une hospitalisation, elle vient de nous quitter. Ma sœur ne peut pas se rendre à l’enterrement. Ma mère a besoin du soutien de ses filles.
Malgré la distance, malgré les recommandations de la gynécologue de ne pas bouger, je décide de parcourir les trois cent cinquante kilomètres qui nous séparent pour les funérailles de ma grand-mère, pour laquelle j’avais une réelle affection. Imparfaite, comme nous toutes, elle avait toujours su donner de l’attention. Un geste, une carte, un billet, une parole.
Le trouble m’envahit quand je réalise que la dernière fois où je l’ai vue, nous avons parlé de son passé de mère. Jamais nous n’avions abordé ce sujet avant cela. Je ne savais pas qu’elle avait dû avorter clandestinement, souffrir en faisant elle-même ses avortements dans sa cuisine sans l’aide de personne. Mais elle avait donné vie à suffisamment d’enfants. Elle n’en voulait plus. Et la pilule n’existait pas.
Je regarde sa vie autrement. Non pas comme celle de ma mamie. Mais comme celle d’une femme avec ses blessures. Une vie ponc- tuée de nombreux drames. Des séquelles transmutées sur la lignée, que j’ai vues lors de mes voyages chamaniques.
Je me souviens avoir fait une promesse à deux de ses filles décédées. Dans l’invisible, j’avais la sensation de leur parler. Je leur avais promis que si elles n’avaient pas été heureuses, je le serais en leur honneur. J’avais pris très à cœur cette rencontre d’un autre monde. Au Pérou, j’avais pu honorer leur mort, leur passage dans l’au-delà. Et guérir la peine du deuil, comprendre le sens de ces drames survenus trop tôt dans leur vie, dans nos vies, dans notre famille, notre lignée de femmes…
Rien ne me laissait indifférente. Tout était matière à transformer le plomb en or.