EN QUETE DE SOI - Episode #8

Le harcèlement

Un jour, fatiguée de mes contrats précaires dans la culture, je baisse les bras. Il faut une sacrée énergie pour changer sans cesse de vie… Alors, j’essaie d’entrer dans le moule. Et si je me rangeais dans une vie « normale »? Un beau CDI. Cinq semaines de vacances. Des emmerdes de bureau dont je pourrai me plaindre lors des dîners. Et puis, après tout, peut-être que je me trompe? Peut-être que je serais heureuse dans le monde normal de l’entreprise? C’est rassurant, ça plaît aux parents et aux amis.

Pas à moi. Mais qu’importe, j’ai envie qu’on m’aime. Évidemment, je n’en ai pas conscience.

Je tente ma chance dans une société de conseil. Ingénieur d’affaires… Après trois longs entretiens pour prouver ma capacité à vendre du consultant, me voilà embauchée. Je suis un ovni dans cette société, bien loin de mes véritables aspirations. J’ai troqué mes rêves pour bien gagner ma vie. Faut dire que le poste est alléchant. Je peux gagner beau- coup d’argent, si je sais vendre père et mère. Et puis, si je mets un décolleté, si je sais aguicher le client, si je peux faire la potiche à l’occasion pour mieux signer un contrat, ça serait pas mal. Oui mais voilà, je sais donner envie avec la parole, mais pas avec mon décolleté. Pas de bol pour le patron, il écope d’un vrai garçon manqué qui s’ignore dans le service.

Ici, je suis la seule femme au milieu d’une meute de prédateurs qui n’en peuvent plus dès qu’ils signent un contrat. Alcool, foot et infidélités sont au programme des réjouissances. Imaginez l’ambiance. Je vois des hommes avec femme et enfants en photo sur leur bureau, qui fanfaronnent lors des déjeuners sur leurs conquêtes en soirée, trompant même parfois leur épouse pour le business. Signer des contrats, boire pour fêter cela et finir parfois en boîte de strip-tease. Drôle de système pour la personne que je suis, débarquant dans ce monde inconnu et froid. Sans parler des réunions commerciales du lundi où j’ai droit à toutes sortes de remarques sexistes dès que j’ouvre la bouche.

J’essaie de trouver ma place dans ce décor masculin. Mais trop de testostérone.

Je suis peut-être un homme qui s’ignore, mais je n’en reste pas moins femme. Et comme ils me voient comme un bon vieux pote à qui l’on peut tout raconter, parfois ils vont trop loin. Comme ce soir de beuverie, après la signature d’un gros contrat, les plus jeunes se lâchent au point que l’un me montre son sexe, et que l’autre me caresse le cou tout en me parlant. Mais quoi ? Je n’ai pas d’humour ?

Je dois sans cesse poser des limites, qui sont franchies. Blagues salaces, regards insistants sur ma poitrine, remarques fatigantes sur mon postérieur, des réflexions du type « mais t’as tes règles ou quoi ? » si je ne réponds pas aux blagues graveleuses…

J’aimerais pouvoir vivre normalement sans me prendre des remarques tous les quatre matins. Bref, il paraît que je vis le harcèlement en entreprise.

À l’époque, autant dire que personne n’en parle. Je ne me rends pas compte de mon mal-être, jusqu’au jour où je craque. Une sorte de petite paralysie faciale. Je ne saurais l’expliquer, mais je sens qu’il est temps que je fasse une pause. J’explique à la direction ma fatigue et les harcèlements des collègues masculins. On me répond qu’on ne peut rien faire face à une meute de loups. On me donne un petit chèque pour partir tranquillement, sans faire de bruit. Et j’apprends dans le même temps qu’à l’étage du dessous, au service comptabilité, ça fait un bail qu’elles se prennent des mains aux fesses et des remarques sexistes sans rien oser dire. Je leur propose de nous réunir pour déposer une plainte. Mais elles ont peur pour leur emploi. Elles me trouvent courageuse de partir. Tu parles ! Je pars car je suis épuisée, au bout du rouleau.

J’ai voulu jouer dans une cour qui ne me ressemble pas. Voilà le constat. Un licenciement, alors que je suis la victime. Mais, comme d’habitude, ce n’est pas grave. Je suis forte !

Je range cette histoire au fond du sac. Décidément, le sac est prêt à gerber de toutes ces histoires rances que j’essaie d’oublier…