EN QUETE DE SOI - Episode #29

L'endométriose - Le cri du corps

« Je t’entends si fort dans la douleur

Tu me tords le corps et j’ai si peur

Tu envahis mes cellules à tort

Tu m’entraînes peu à peu vers la mort.

Endométriose… Je t’ai en overdose… »

Extrait du poème/slam « Endométriose en overdose », EstElle Penain.

 

 

J’ai si mal au ventre ! Quel jour est-on ? Oh misère, voilà les lunes rouges qui débarquent plus tôt que prévu… Comme je déteste avoir mes règles! Je ne supporte plus rien. Et surtout, je n’ai jamais rien compris à ce foutu cycle. Je dois encore me coucher, et ce, dès le premier jour. Il me faut un antidouleur. Mais rapidement, j’ai des vertiges. J’ai chaud, j’ai froid. J’ai mal au ventre. Comme des coups de couteaux à l’intérieur de moi. Je cours dans la rue, vite, vite ! Un grand bol d’air. Je me rue dans la première pharmacie. Mais les douleurs s’intensifient. Contractions ou colites? Je m’écroule. La pharmacienne appelle les urgences. Je n’ai jamais eu aussi mal. J’ai l’impression de crever ! Les contractions sont si violentes. J’alterne entre le chaud et le glacial. Je transpire, alors que j’ai froid. J’ai peur de mourir ! On dirait une hémorragie entre mes cuisses ! Je sens le sang chaud dans ma culotte.

Et les pompiers qui n’arrivent pas. Je me sens si mal. La douleur irradie tout mon corps, et sa violence est telle que j’ai peur de perdre conscience. Je respire vite et fort, haletant comme un petit chien… (Voilà le genre de crises que je vivrai plusieurs fois par la suite…) Je me traîne aux toilettes, accrochée au bras de la pharmacienne. Impossible de rester debout. Je m’écroule à nouveau, dans un tsunami de contractions. La pharmacienne me donne deux antidouleurs. Je dois attendre trente minutes pour qu’ils fassent effet.

Les pompiers viennent d’arriver. Tension basse. Ils me posent des questions, mais je n’arrive plus à parler tellement la souffrance paralyse tout mon corps. Ils me passent de l’eau sur le visage. Ils descendent leur brancard. Je ne veux pas aller à l’hôpital. Je leur demande d’attendre l’effet des médicaments avant de m’y emmener. Mais ils n’écoutent pas.

La procédure est la suivante : un appel et direction l’hôpital pour une visite auprès d’un médecin. Je n’ai pas la force de lutter. Et me voilà sur la civière. Un pompier me parle. Il est très gentil. Je n’avais jamais vu de pompiers si près. Vraiment sympas, ces hommes qui sauvent les autres. J’en oublie la douleur, jusqu’à une nouvelle contraction. Punaise. Je vais accoucher d’un alien, ou quoi ? Serais-je enceinte ? Je pleure.

Les vibrations du camion me font l’effet d’un marteau-piqueur tant je suis à fleur de peau. On me descend rapidement. Me voilà dans le couloir des urgences sur un brancard. Les pompiers me disent au revoir, alors que l’effet du médicament commence à agir.

Une heure plus tard, me voilà sur un autre brancard. Les jambes écartées, j’ai droit à une consultation. Échographie et tout le tralala. Je suis bonne pour attendre encore. J’ai maintenant très envie de dormir. Mes paupières sont lourdes, la fatigue des règles. Je n’en peux plus. Je perçois une voix. J’ai mal partout.

J’ouvre les yeux. L’hôpital. Cela fait combien de temps que je suis allongée ici ? Chaque fois que je prends ces antidouleurs puissants, j’ai l’impression d’être shootée, droguée. Je n’ai plus de force.

Gaël arrive après son travail. Il me dit ne pas se rendre compte des douleurs que je traverse. D’ailleurs, il n’a pas sauté dans un taxi quand je lui ai annoncé que j’étais à l’hôpital. J’ai remarqué que cet univers créait comme un rejet inconscient chez lui. Une sorte de répulsion, que je soupçonne être liée à sa propre naissance, difficile (utilisation des forceps, bruits du métal qui tombe par terre…).

Il est clair que tout ce qui a trait à l’hôpital, à la maladie, à mes crises de douleurs le rend bizarre. Comme anesthésié. Mais il fait du mieux qu’il peut, j’en suis sûre…

On m’annonce que je dois revenir faire des examens rapidement, mais il semblerait que cette hémorragie soulève des inquiétudes. Le médecin pense que j’ai fait une fausse couche en début de grossesse. Mais en réalité, j’ai juste eu des règles plus douloureuses que d’habitude…

Le lendemain, je suis terrassée par la fatigue. D’habitude, j’arrive quand même à travailler. Mais là, impossible de bouger. Mes douleurs à l’utérus ont duré longtemps. Je me sens faible. J’ai toujours eu mal pendant les lunes rouges, comme je le disais, aussi loin que je m’en souvienne. Mais je n’ai jamais voulu vraiment y penser.

Je me suis toujours demandé si toutes les femmes souffraient comme moi. Entre femmes, nous n’en parlons que rarement…  J’ai toujours été surprise par la nature de nos cycles qui se synchronisent. En effet, au bureau, au bout d’un moment, toutes les femmes se régulent en même temps. C’est incroyable. Nous pourrions en parler, tout de même !

Tous les mois, la même rengaine. Et tout ça, pour un ou deux enfants en moyenne. Pourquoi la nature ne nous a pas pourvues d’une période de reproduction, comme les animaux ? Tous les mois de décembre et janvier, en période d’hibernation, on serait fécondables. Le reste du temps, non. Pas de lunes rouges. Juste deux mois où l’on s’en donnerait à cœur joie pour les envies de parentalité, et pour les autres, petite abstention hivernale avant de reprendre nos ébats sexuels au printemps.

Les règles m’empêchent de vivre! Je n’y vois rien de bien, elles me font me plier en deux, m’empêchent d’être au top, me font me sentir sale et repoussante; pendant les lunes rouges, je peux avoir envie de rien et de tout en même temps, détester ou adorer tout en même temps…

Un bordel sans nom dont je me passerais bien. Et voilà qu’en plus cela devient hémorragique ! Je n’aurais donc jamais la paix ? La pilule ? Je n’arrive pas à m’y contraindre. Trop d’effets secondaires sur moi. Prise de poids, douleur aux seins, acné juvénile, chute de cheveux, nausées… La liste est longue.

J’ai vu plusieurs gynécologues sans arriver à trouver une personne chez qui je me sente bien, écoutée et non pas jugée.

Je tiens à faire une parenthèse de mes années de suivi gynécologique sans entrer dans les détails mais sur le rapport patient/médecin.

Est-ce normal d’entendre des remarques déplacées sur les douleurs que j’exagérerais selon certaines gynécologues ?

Je suis perplexe aujourd’hui à propos de femmes gynécologues rencontrées sur ma route avec un vrai problème relationnel ! Celles que je rencontre sont dénuées de douceur et me font l’impression d’un rapport froid et austère qui n’aide pas à me sentir accueillie dans ce moment spécial de consultation intime.

D’ailleurs, j’aimerais comprendre pourquoi les femmes sont contraintes à un suivi médical gynécologique toute la vie alors que les hommes ne le sont pas ? Le corps de la femme sexuellement active doit-il être contrôlé à ce point ? J’ai toujours trouvé étrange qu’on nous infantilise dans cette pratique de contrôle de notre système sexuel. Comme si la cavité utérine représentait un danger potentiel de maladie. Mais pourtant, les maladies sexuellement transmissibles touchent les hommes en grand nombre et personne ne les oblige à consulter un médecin.

Quel drôle de concept a été mis en place pour nous obliger à être suivies en permanence, à consulter, à être palpées et retournées ! Parce qu’il m’est arrivé de me sentir bien vulnérable et mal à l’aise, entièrement nue, allongée sur une table froide, les jambes écartées, des mains palpant mes seins et entrant dans mon vagin.

J’aimerais bien voir la réaction des hommes obligés de se faire palper l’anus régulièrement ? Pose-t-on sans arrêt la question aux hommes en leur mettant la pression sur la pater- nité, leur vie sexuelle, le nombre de partenaires?

J’ai vraiment la sensation qu’il y a de quoi s’interroger… Le suivi permet le dépistage mais alors, que le dépistage soit pour tous après tout !

Il y a des sites qui ont fleuri où les femmes peuvent enfin partager et se donner les bonnes adresses… Grâce à ces recommandations, j’ai enfin trouvé une gynécologue qui prend au sérieux mes douleurs.

Échographie pelvienne. Et là, le verdict tombe : endométriose avec adénomyose au stade… Sans importance, je ne veux pas savoir. J’entends juste qu’à mon âge, je n’aurai plus d’enfant. À moins d’un miracle. Que je dois me faire opérer en urgence pour ne pas laisser l’endométriose proliférer dans mon corps. Parce que cette maladie se développe en dehors de l’utérus. Saloperie !

Je suis effondrée. Avoir des règles douloureuses pour rien… J’essaie de prendre la nouvelle à la légère, comme je fais souvent par réflexe quand la douleur est trop forte. Encore une fois, je pousse tout au fond d’un sac. Je me répète que ce n’est pas si grave…

Je sors de la consultation avec mon dossier sous le bras. J’ai au moins la satisfaction d’apprendre que je n’étais pas la douillette que croyait mon entourage ou certaines gynécologues culpabilisantes, mais que j’étais bel et bien atteinte d’un mal profond. Maigre consolation… Je m’effondre en larmes. Même avec le réconfort de Gaël, qui me rassure sur le fait qu’il m’aimera sans enfant, je reste persuadée qu’il me quittera pour une autre quand il en voudra un. 

Je n’arrête pas de pleurer. Je n’avais pas pensé tant que cela à être mère jusque-là. Alors pourquoi pleurer autant ? Je ne m’en rendais pas compte? Oui, c’est peut-être ça! Je ne réalisais pas que je voulais être mère. À force d’avoir vu des mères insatisfaites de leur vie, j’ai peut-être occulté mon envie de maternité ?

Je me pose mille questions. Je n’ai pas envie de me faire opérer. En même temps, la gynécologue m’a convaincue de la nécessité de cette opération. Car cela peut s’aggraver. Atteindre d’autres parties du corps. Devenir invalidant. Toucher les reins, la vessie, coller les organes entre eux et même se nicher dans le cerveau. J’imagine le pire scénario. Je suis paniquée, entre ce diagnostic et ma peur des hôpitaux…

Pendant plusieurs semaines, je lis des tas de magazines santé avec l’impression de pouvoir attraper toutes les maladies, de voir des diagnostics dramatiques derrière chaque symptôme étrange. Du coup, j’arrête. Me voilà cataloguée MALADE. Quoi ? Je suis fatiguée, mais pas malade ! Je refuse cette étiquette. C’est trop facile.

Voilà toute ma vie bouleversée parce qu’on m’a dit que j’avais une maladie incurable, que je ne serai jamais maman et que je vais souffrir jusqu’à la ménopause voire plus, à moins de prendre une pilule chimique ou me faire opérer. Je ne sais pas pourquoi, mais je ne sens ni l’une ni l’autre. Mon intuition me crie de trouver une autre solution. Mais laquelle ?

Je dois lutter contre l’endométriose. Ne pas lui permettre de s’étaler davantage dans mon corps.

Je viens de prendre conscience que je ne serai pas tout à fait une femme comme une autre. Celle qui se voyait se marier, avoir des enfants et un jour devenir grand-mère. Je fais partie de cette minorité importante silencieuse (une à deux femmes sur dix atteintes d’en- dométriose). Je ne veux pas être cataloguée. Je refuse de m’inscrire à la Sécurité sociale comme malade longue durée ou un truc dans le genre. Pour ne pas cautionner cet état. Je veux bien l’accepter, mais pas lui donner à manger. Et j’ai bien l’intention de guérir.

Le corps parle. Et si mon corps malade me donne une information, je dois la saisir pour mieux la transformer.

Cette maladie doit être arrivée dans ma vie pour me dire quelque chose… Je suis persuadée que le chemin spirituel que j’ai accompli auparavant a permis à la maladie de ne pas trop se développer. Parce que j’ai l’impression qu’elle n’existe pas depuis huit ans, comme le suggèrent les médecins, mais depuis mon adolescence. En effet, j’ai toujours eu très mal au ventre pendant les lunes. La prise de la pilule très jeune m’a permis de calfeutrer ce mal en empê- chant le cycle naturel de se produire. Un couvercle sur la cocotte minute qui s’est désintégré au fur et à mesure que j’ai travaillé sur mon corps, en somme.

En harmonisant le corps et l’esprit, en permettant aux mémoires inconscientes de voir le jour à travers l’expérience amazonienne au Pérou, la maladie s’est manifestée pour être entendue. Voilà ma conception des choses. Parce que le déni peut cacher longtemps un problème, mais …

il y a toujours un événement pour faire jaillir ce qui doit être vu. Et la fausse couche a joué ce rôle. Elle m’a mise devant les questions de vie et de mort. Et moi, j’ai envie de vivre !

Sur Internet, je découvre des témoignages parlant de guérison, alors que la médecine parle de maladie incurable. Je creuse. Je fouine, à la recherche de toutes les informations possibles sur cette maladie.

Je découvre que 10 à 20 % des femmes sont touchées par ce mal, qui développe des cellules en dehors de l’utérus. C’est cela qui crée des douleurs atroces, invalidantes pendant les lunes – et même en dehors, pour les cas plus graves. Les douleurs sont telles qu’elles peuvent conduire à tomber dans les pommes, comme je l’ai moi-même expérimenté plusieurs fois.

30 à 50 % des femmes touchées ont des problèmes de fertilité à cause de cette maladie. Ce sont donc des millions de femmes à travers le monde qui sont concernées. Des millions ! Et comme les victimes de cette maladie connaissent une errance médicale, cela nous conduit souvent à devenir nos propres laboratoires.

Pendant une année, je décide d’essayer de prendre soin de moi, et si rien ne marche, alors je me ferai opérer. Je dois tenter autre chose, avant ça. Je le sens.

Je me mets en recherche d’informations pour changer mon alimentation, ma façon de vivre trop sédentaire et ma vision de la féminité. J’apprends que le gluten, les aliments acides, l’alcool, les produits laitiers et la viande sont facteur d’inflammation.

Sur une période de trois semaines, je fais un test, en arrêtant de manger du gluten et, en effet, je dégonfle, mes lunes rouges semblent moins difficiles, et mes problèmes intestinaux ont diminué.

Mais il faut du temps pour changer complètement ses habitudes alimentaires…

Je travaille beaucoup derrière mon ordinateur, à écrire. Et durant ces huit heures, happée par le flux créatif, je peux oublier de manger et de bouger. Pas bon du tout. Je me mets du coup une alarme, pour me sortir le nez de l’écriture et de l’écran.

Puis, grâce à l’arrivée de mes chiennes dans notre foyer, j’alterne sorties et balades au bois avec les temps d’écriture. Un nouvel équilibre commence à se dessiner…

Je cherche également à mettre en pratique tout ce que j’ai appris pendant mes années d’initiations. Sons vibratoires, auto- harmonisations, méditations, visualisations, prières.

S’il n’existe pas de remède à la maladie actuellement, je dois entendre ma partie divine. Demander de l’aide par la prière et me mettre dans l’accueil en respirant consciemment.

Cela peut paraître étrange pour un cartésien, mais à ce moment-là, je ne trouve pas d’autres solutions à ma portée, excepté l’alimentation anti-inflammatoire dont j’ai parlé, la danse, la marche et les outils thérapeutiques.

Je me connecte tous les jours à la respiration pranique. Après quarante-deux jours de pratique, prête à reprendre une troisième série de vingt et un jours de Pranayama, une grippe intense me terrasse au lit : fièvre, gastro, bronchite, fatigue intense, toux… Cela faisait longtemps. Parce que j’ai oublié de le dire, mais depuis mon travail énergétique et mon initiation au Pérou, je n’étais presque plus malade au niveau ORL.

Comme à chaque fois que je reçois un choc émotionnel, le corps réagit. Apprendre que je suis malade m’a sûrement bien plus perturbée que ce dont je me suis convaincue… Encore une fois, je suis plutôt forte à ce jeu. Sauf que là, atteinte de cette très forte grippe, je ne peux plus méditer ni respirer.

Cette coupure forcée me contrarie. On dirait que j’ai perdu tous mes anciens repères. Je mange très peu depuis quinze jours, voire pas du tout, je ne me nourris que de tisanes. Je me sens vide, ruminant la maladie et la conséquence sur mon infertilité potentielle.

Alors à quoi je sers ? Une femme sans enfant. Je suis entourée de pondeuse. Sauf moi. Pourquoi ? Je n’ai jamais pensé vraiment à la maternité et pourtant j’ai toujours aimé les enfants. Est-ce en lien avec l’endométriose ? En lien avec ce désir de garçon gravé dans mon inconscient ? Aurais-je peur d’accoucher ? Oui, j’ai peur de mourir en accouchant ! Je n’y avais jamais pensé, mais cela me terrorise. Plus qu’être enceinte. (Plus tard, lors d’une retraite spirituelle, j’aurai la vision d’être morte en couche dans une vie antérieure…)

Cette maladie m’oblige à observer ce côté guerrier qui m’a conduite à vivre comme un homme dans cette société patriarcale. Je ne crée pas, je n’ai pas donné vie à un enfant, j’ai des problèmes liés au féminin avec l’endométriose et des lunes douloureuses anormales. J’aimerais tellement me sentir toujours en pleine forme. Comme un homme. Linéaire.

Mais quand vas-tu accepter que tu es cyclique ? Tu ne peux pas être d’humeur égale, puisque la nature t’a donné un cycle pour enfanter. Tu passes par des taux hormonaux différents. Et tu regorges de multiples émotions. Il va falloir les accepter un jour ou l’autre.

Et voilà, je me flagelle et je pleure. Si je ne peux pas donner la vie, il faut que je nourrisse quelque chose. Si ce n’est pas une famille, est-ce une communauté ? Dois-je écrire pour les autres ?

J’aimerais me couper du monde. Mes hormones me dérangent. Ce yoyo émotionnel épuiserait un régiment. Comment être disponible aux autres avec si peu d’énergie ? Généralement, je vais chercher le peu qu’il me reste pour faire bonne figure… Mais, depuis quelque temps, je commence à en avoir marre de me mentir, de faire semblant d’aller bien alors que j’ai mal dans ce ventre, dans cet utérus en vrac et ces intestins en résistance. Il me faut écrire pour exorciser.